
PORTRAIT 23
Charles-Mathieu
L’engagement qui ouvre le cœur
Chez certains, la rencontre avec Karuna-Shechen ne se limite pas à un soutien ponctuel : elle devient un chemin de transformation intérieure, un fil rouge qui relie engagement professionnel, parcours spirituel et attention portée aux autres.
Dans ce portrait, Charles-Mathieu Brunelle, président du conseil d’administration international de Karuna-Shechen, revient sur son cheminement personnel, depuis sa première rencontre avec Matthieu Ricard jusqu’à son engagement bénévole au plus haut niveau de l’organisation. Une conversation profonde et sensible avec Élodie, secrétaire générale internationale, autour de la générosité, du don, et de ces moments rares où l’action humanitaire devient une véritable ouverture du cœur.
Alors, Charles-Mathieu peux-tu te présenter en quelques mots ?
C-MB : Je suis président du conseil d'administration de Karuna-Shechen depuis un an et accessoirement, on pourrait me qualifier de développeur culturel à Montréal. J’ai dirigé un centre des musées scientifiques à Montréal (Espace pour la vie) et créé la première salle dédiée aux arts du cirque en Amérique. Par ailleurs j’ai une formation de danseur classique et contemporain.
Comment as-tu rencontré Karuna-Shechen ?
C-MB : La rencontre s'est faite en 2003 ou 2004. C’était d’abord une rencontre avec Matthieu.
En fait, dans les années 1990, j'ai fondé la TOHU!, à Montréal, qui est une salle de spectacle dédiée aux arts du cirque. On a fondé ce projet avec le Cirque du Soleil et l'École nationale du cirque. C'est une salle qui était dédiée non seulement aux arts du cirque, mais aussi à l'inclusion communautaire. Notre mission à cette époque se décline en trois volets : Cirque - Terre - Humain.
Étant président exécutif et responsable de la programmation, je reçois un appel d’un ami, Rémi Tremblay, qui me dit “écoute, je pense faire venir Matthieu Ricard à Montréal”. C'est la première fois qu'il venait au pays. Je lui ai dit “Attends, attends, si tu fais venir Matthieu Ricard, je veux le produire. Je veux lui offrir la salle.”
La raison pour laquelle j'ai dit ça, c'est que - je sais que dans Karuna vous entendez ce genre d'histoire là maintes fois - mais en 1997, j'ai lu son livre Le moine et le philosophe, et il a changé le cours de ma vie, de ma vie spirituelle, à tout le moins.
C’est drôle parce que la personne avec laquelle je travaillais sur la programmation n’était pas convaincue, elle ne voyait pas le lien avec notre mission Cirque-Terre-Humain, et donc on a discuté avec Matthieu - je ne le connaissais pas à l’époque - et on a convenu d’orienter la présentation autour de l’interdépendance. Car ce sont les choix individuels qui influencent le collectif, notamment au niveau environnemental.
Après la conférence, on a échangé des mots comme ça, puis il m'a dit “Pourquoi tu ne viens pas au Népal ?”, on est allés au Népal avec un groupe de 22 amis, formé par Rémi Tremblay, qui dirigeait une organisation de Leadership. On est tombés en amour avec Bodnath et on a décidé d’aider à financer la clinique. C’est ainsi que j’ai rencontré Karuna.


Comment es-tu passé de ce moment-là à la présidence ? Qu’est-ce qui t’a donné envie au sein de Karuna de t’engager à ce niveau-là ?
Au cours des années, j'ai développé une profonde amitié avec Matthieu. On a fait pas mal de voyages ensemble. Et puis la décision de ce groupe de Canadiens de soutenir la clinique Shechen a abouti à la création d’une branche canadienne de Karuna, dont j’ai accepté la présidence que j’occupe jusqu’à ce jour.
Au fil des ans, j'ai intégré le conseil d’administration international, puis on m'a demandé d'assumer la présidence. J'étais très heureux parce que je crois que c'est un moment charnière.
Et puis, d’avoir vu les actions sur le terrain, ça m’a véritablement marqué… Je ne peux pas parler d’autre chose que d’une véritable ouverture du cœur. Les projets ont pu changer, il y a des activités qu’on ne fait plus, d’autres qu’on a initiées par la suite, de nouvelles régions dans lesquelles on s’est implantées. Ceci dit, l'ouverture du cœur, celle qui vient de la chance d’avoir vu et vécu la façon dont les équipes interviennent sur le terrain, reste très présente.
Est-ce que tu aurais un moment d’ouverture du cœur sur le terrain à partager ou à raconter ?
Oh, il y en a plusieurs !
Ce qui a été le plus frappant, probablement parce que c'est une des premières visites, c'était la clinique Shechen à l'époque, où on intervenait en soins palliatifs. Et les soins palliatifs, tout le monde sait que c'est quelque chose qui est très prenant. Or, la sérénité et la qualité humaine qu'il y avait dans cette clinique-là m'a totalement renversé.
Et puis, d’avoir vu les actions sur le terrain, ça m’a véritablement marqué… Je ne peux pas parler d’autre chose que d’une véritable ouverture du cœur.


En quoi ton parcours dans Karuna, aujourd'hui comme président, mais aussi avant, comme ami, bénévole et donateur, a aussi contribué à ton voyage spirituel ? Et inversement peut-être ?
Ça m'a complètement changé. Dans un sens comme dans l’autre. Avant tout, c'est parce que c’est d’abord une démarche personnelle qui nous ouvre, nous oriente vers les autres. Et dans mon parcours personnel, j’ai pu observer que mon implication dans l’humanitaire a fortement influencé ma manière de diriger.
Pour te donner un exemple, quand je suis devenu directeur général adjoint de la ville de Montréal, j'ai suggéré que pour l'ensemble des 28 000 employés de la Ville de Montréal, on inclut la bienveillance dans le processus d'évaluation des cadres, je me suis dit mais ils vont me dire “T'es malade, Charles, ça n’a pas de sens !”. Mais c’est passé comme dans du beurre !
Alors c'est sûr que, selon moi, si je n'avais pas fait cette première rencontre avec Matthieu, je n'aurais probablement pas eu cette idée . Et ce parcours, je l'ai vu me changer profondément. Comme quoi, on ne soupçonne pas l'impact que ça peut avoir non seulement sur soi, mais sur les personnes qui nous entourent.
Tu parlais plus tôt de moment charnière. Et, justement, Karuna a 25 ans cette année. C’est un âge symboliquement important. Selon toi, quelles sont les priorités, les enjeux des 25 prochaines années ?
Je crois qu’il y a pas mal d’enjeux pour les 25 prochaines années. Il y a pas mal d’enjeux pour les années qui viennent même sans regarder jusqu’à 25 ans d’ailleurs !
Pour moi, l’enjeu principal du secteur humanitaire c’est de se mettre à l’écoute des besoins exprimés par les communautés accompagnées. Et ça, on le fait très bien ! Il faut qu’on continue à le faire, et toujours mieux, c’est essentiel.
Un autre enjeu est au niveau de la qualité des relations au sein des équipes, pour prendre soin de la santé physique et psychologique des personnes accompagnées, mais aussi des personnes qui leur viennent en aide.
Et enfin, l’enjeu crucial de la pérennité financière, diversifier les revenus et assurer la continuité de nos actions dans les années à venir, malgré la tendance mondiale de repli de donateurs. Mais j’envisage l’avenir avec optimisme, car Karuna a une mission tellement distinctive, et une façon d'opérer qui est tellement humaine, tellement inspirante ! C’est vraiment sa force.
Pour moi, l’enjeu principal du secteur humanitaire c’est de se mettre à l’écoute des besoins exprimés par les communautés accompagnées. Et ça, on le fait très bien ! Il faut qu’on continue à le faire, et toujours mieux, c’est essentiel.
Justement, dans cet engagement que tu as et que tu portes, il y a l’énergie du don de soi. Et on avait envie de parler avec toi de la question du don. Selon toi, quel lien existe entre les donateurs de Karuna et les communautés, même si ces personnes n’auront pas forcément la chance de se rencontrer personnellement comme toi tu as pu le faire ?
Je crois que le lien qui cimente la relation, ce sont les témoignages. Et ça, il faut vraiment en prendre soin. Les témoignages des personnes accompagnées, comme des équipes sur le terrain. Tout ce qui permet aux donateurs de rencontrer d’une manière ou d’une autre les personnes : la littérature de Matthieu, les livres photos, les rapports annuels de Karuna…
Et qu’est-ce que tu aurais envie de dire aux personnes qui font des “petits dons”, et qui se demandent quel est l’impact de ce geste ?
Je dirais qu’il y a deux éléments de réponse. D’un côté l’effet papillon : leur don contribue et peut créer un effet multiplicateur qui est crucial.
Mais aussi l’autre élément, qui est pour moi le plus important, c’est que le fait de donner est un geste de générosité. Le geste du don induit une métamorphose de la personne qui donne, et donc ensuite sur son entourage. Il y a un moment où elle est touchée, même si ça peut ne durer qu’un instant, même si elle peut l’oublier, ça la change de l’intérieur, et elle porte ce geste en elle. Et cet effet n’a rien à voir avec la somme qui est donnée.
Merci.
Mais merci à toi !

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