
PORTRAIT 22
Pinki Kumari
Au service des femmes de sa communauté
Depuis plus de dix ans, Karuna-Shechen agit en faveur de la santé des femmes et des enfants dans les zones rurales du Bihar et du Jharkhand, avec la conviction profonde que le développement socio-économique durable passe par l’autonomisation des femmes. Au cœur de cette action menée se trouvent les moblisateurs et mobilsatrices de santé communautaire, véritables piliers du changement, qui transforment l’information en actions concrètes au plus près des communautés.
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Par leur présence quotidienne, leur capacité à créer des liens de confiance et leur travail de sensibilisation fondé sur des connaissances scientifiques, elles contribuent à faire évoluer durablement les pratiques et les mentalités. À Bodhgaya, Pinki Kumari incarne pleinement cet engagement. Son parcours illustre comment un travail patient et ancré localement peut transformer les perceptions autour de la santé et de l’hygiène menstruelles dans des communautés marginalisées.
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Nous partageons ici un extrait d’un échange avec Pinki, dans lequel elle revient sur son cheminement personnel, les défis auxquels les femmes sont confrontées et l’impact discret mais profond du travail de sensibilisation au quotidien.
Peux-tu te présenter et nous parler un peu de ta famille ?
Pinki : ​​​Je m’appelle Pinki Kumari. J’ai 28 ans et je vis à Ilra, à Bodhgaya. Dans ma famille, il y a ma belle-mère, mon fils et mes deux filles.​
Avant de rejoindre Karuna-Shechen, que faisais-tu et comment as-tu découvert l’organisation ?
Pinki : J’enseignais dans une école associative. J’ai découvert Karuna-Shechen par l’intermédiaire du centre Anganwadi, où j’ai été initiée au programme de développement de la petite enfance (ECD) lorsque j’y accompagnais mon fils de quatre ans. J’observais les activités qui y étaient menées, en particulier celles axées sur le développement émotionnel et social des enfants, et j’en ai été très inspirée. Cela m’a donné envie de contribuer à ce type de travail au sein de ma propre communauté.
Quand as-tu commencé à travailler comme mobilisatrice et en quoi consiste ton rôle ?
Pinki : J’ai commencé à travailler comme Community Health Mobilizer le 19 mars 2019. Mon travail porte sur le développement global de l’enfant à travers le programme ECD dans les centres Anganwadi. En parallèle, je soutiens des activités telles que la distribution de semences, la sensibilisation à l’hygiène et à la nutrition, ainsi que le suivi des femmes enceintes et allaitantes. Dans le cadre du programme Santé des femmes et des enfants (WCH), je travaille principalement avec les adolescentes et les femmes afin d’améliorer leurs comportements en matière de recours aux soins. L’accent est mis sur la sensibilisation, la discussion des difficultés et des points sensibles, ainsi que la lutte contre les tabous. Chez Karuna-Shechen, nous promouvons fortement des pratiques menstruelles durables, et je mène activement des actions de sensibilisation tout en distribuant des serviettes hygiéniques lavables et des protections jetables dans la communauté.


À quoi ressemble une journée type dans ton travail ?
Pinki : Nous préparons un plan mensuel à l’avance, ce qui permet de commencer chaque journée avec une vision claire. Je sais où je dois aller et quelle activité je dois mener. Avec le soutien des sevikas et sahayikas, je mobilise la communauté et j’anime des sessions de sensibilisation auprès des femmes et des jeunes filles.
D’après ton expérience, quels défis les filles et les femmes rencontrent-elles en matière de menstruation ?
Pinki : Lorsque nous avons commencé, la sensibilisation était très limitée. Les filles et les femmes hésitaient à parler ouvertement des menstruations. Beaucoup utilisaient de vieux morceaux de tissu qui n’étaient ni hygiéniques ni sûrs. Avec le temps, nous avons constaté une nette amélioration. Aujourd’hui, elles participent aux réunions, posent des questions et partagent ce qu’elles apprennent avec d’autres. Lorsqu’elles passent aux serviettes lavables et les entretiennent correctement, elles remarquent des changements positifs : moins d’infections, plus de confort et un sentiment de dignité. Un autre défi est que les serviettes hygiéniques jetables ne sont pas toujours disponibles dans les commerces locaux, et beaucoup de femmes ne savent pas comment les éliminer en toute sécurité. Les serviettes lavables sont devenues une solution pratique et abordable. Lors de mes visites sur le terrain, je vais également de porte en porte pour m’assurer que les femmes y ont accès.
Aujourd’hui, elles participent aux réunions, posent des questions et partagent ce qu’elles apprennent avec d’autres.


Pourquoi est-il important, selon toi, de parler ouvertement des menstruations ?
Pinki : Les menstruations sont totalement naturelles ; elles sont essentielles à la continuité des générations. Elles sont aussi naturelles que la floraison des arbres. Si nous n’en parlons pas, les filles et les femmes peuvent ne jamais exprimer ce qu’elles vivent, et ce silence peut entraîner de graves problèmes de santé.
Comment instaures-tu une relation de confiance avec les filles, les femmes et leurs familles ?
Pinki : Nous commençons par recenser et identifier les filles et les femmes âgées de 10 à 20 ans. Nous parlons d’abord avec les familles, qui connaissent pour la plupart déjà Karuna-Shechen, et nous leur expliquons comment les activités et la sensibilisation du programme WCH peuvent bénéficier aux femmes de leur foyer. Lorsque je rencontre les jeunes filles de la communauté, je partage mes propres expériences et difficultés liées aux menstruations. Cela les aide à me faire confiance et à s’exprimer librement sur leurs questions.
As-tu rencontré des résistances dans ton travail ?
Pinki : Oui, parfois la résistance vient de l’intérieur même des groupes. Même après avoir expliqué les avantages des serviettes lavables, certaines filles ou femmes restent très attachées à leurs habitudes et ne souhaitent pas envisager d’alternatives. Certaines hésitent même à écouter au départ. Mais avec de la patience et un engagement répété, beaucoup finissent par s’ouvrir.
Ton parcours personnel depuis 2019 a été marqué par des épreuves importantes. Comment ce travail t'a-t-il transformée ?
Pinki : Lorsque j’ai commencé ce travail, mon beau-père soutenait notre famille. Après son décès, puis lorsque j’ai perdu mon mari, j’ai soudain dû m’occuper seule de mes trois enfants. J’ai traversé de grandes épreuves émotionnelles, mais je n’ai jamais laissé mes difficultés personnelles affecter mon travail. Aider ne serait-ce qu’une seule personne de manière significative me donne de la force. Ce travail m’a appris l’importance de tenir debout par moi-même. Même lorsque certaines personnes me critiquaient parce que j’étais une mère célibataire qui travaillait, j’ai continué, car je crois profondément en la sincérité et au sens de ce que nous faisons
Quels espoirs nourris-tu pour les filles et les femmes avec lesquelles tu travailles ?
Pinki : Je souhaite qu’elles comprennent l’importance de l’éducation. Si je n’avais pas été instruite, je n’aurais pas pu subvenir aux besoins de ma famille ni éduquer mes enfants. J’espère qu’elles continueront à briser les tabous liés aux menstruations, à partager leurs connaissances avec les autres et à affronter les défis avec confiance.
Plus que tout, j’espère qu’aucune fille ne manquera l’école à cause des menstruations et qu’aucune jeune fille ne se sente effrayée ou seule lors de ses premières règles.
Aujourd’hui, dans les villages où Pinki intervient, les groupes d’adolescentes se réunissent plus régulièrement, les filles posent leurs questions sans crainte, les familles s’ouvrent davantage au dialogue et la fréquentation scolaire pendant les menstruations s’est améliorée. Le changement est progressif, parfois imperceptible, mais bien réel — construit jour après jour grâce à la patience, à la confiance et à la présence constante de femmes comme Pinki.
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Son parcours incarne l’essence même du programme Santé des femmes et des enfants de Karuna-Shechen : transformer des vies par la compassion, le partage de connaissances et la conviction profonde que chaque femme, partout, mérite la dignité, l’écoute et une voix.

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